[Food Wars ! / Shokugeki no Soma] Plaisir de manger, Sensorialité et orgasme culinaire ?

Ce manga (et l’anime qui en est tiré), publié en français chez Tonkam, présente les aventures culinaires d’un jeune homme, Soma, chef d’un petit restaurant traditionnel japonais situé dans un petit quartier. Formé par son père, il intègre la meilleure école de cuisine du Japon et y affronte d’autres cuisiniers de talent autour de recettes des grands classiques de la gastronomie mondiale (dont la cuisine japonaise ou française bien évidemment).

Là où les batailles des shōnen se déroulent habituellement à coups de poings, Soma utilise son art de la cuisine pour produire des plats sublimant les sens ; un ravissement ultime qui ne caresse pas que les papilles mais tend plutôt vers un orgasme culinaire…

Qu’en est-il du point de vue du diététicien ?

Ce manga est, pour moi, une très bonne porte d’entrée dans la compréhension de notre relation à la nourriture. Manger c’est aborder plusieurs dimensions : besoin vital, plaisir, relation sociale, échange et tellement plus.

D’où vient le plaisir de manger ?

Paradoxalement, c’est avant d’être diététicien que j’ai compris la base du plaisir alimentaire. J’écoutais une émission de radio et un paléo-anthropologue prenait comme exemple deux types de singes pour illustrer son propos : si je me souviens bien, et pour faire simple, le plaisir plus ou moins important de manger est une récompense pour un effort plus ou moins intense.

Dans une forêt, des singes qui peuvent manger et digérer des feuilles n’ont qu’à tendre la main pour en attraper, leur réponse à l’ingestion de nourriture est donc un petit plaisir. Ceux qui doivent plutôt manger des fruits doivent les trouver, souvent grimper pour les attraper. La motivation et les efforts sont plus importants, donc la récompense est plus importante.

Nous avons un circuit de récompense qui est plus proche de celui des singes de la deuxième catégories, car quoi qu’on en pense, nous avons des ancêtres communs. Et bien évidemment, une société d’abondance alimentaire comme celles dans lesquelles nous évoluons n’est pas du tout adaptée à ce type de mécanisme…

D’autant plus qu’on peut trouver plusieurs limites à ce fonctionnement, dont deux que je trouve importantes :

  • il est possible de fausser ce circuit de récompense, notamment par des surconsommations d’alcool durant l’adolescence augmentant les possibilités d’addiction, notamment à la nourriture ;
  • lorsque l’on a pas la moral, l’utilisation de la nourriture comme élément réconfortant de manière trop systématique peut induire un cercle vicieux pour arriver à maintenir un niveau de plaisir constant. En effet le noyau accubens, élément central du circuit de la récompense peut être stimulé par effet de proximité par les centres de la faim…

Une fois comprise cette notion de circuit de récompense, il ne faut pas négliger ce que l’on appelle les qualité organoleptiques, dit en termes plus profanes… tout ce qui peut exciter un sens.

Car dans Food Wars, la sensorialité est le cœur de la cuisine et conduit au plaisir ultime !

Les 5 sens, les 5 goûts et plus encore…
Les sens communément admis comme la vue, l’odeur, le goût, le toucher et l’ouïe peuvent tous être mis à contribution dans la cuisine et participer à ce qu’une recette banale soit un feu d’artifice sensoriel.

Généralement c’est la vue ou l’odeur qui sont les premiers à être sollicités, puisque ce sont des sens pouvant être sollicités « à distance », plus rarement l’ouïe (par exemple le « pop » qui indique l’ouverture d’une bonne bouteille), puis viennent ceux qui nécessitent d’être plus proche voire d’avoir déjà ingéré l’aliment pour les activer. Le goût et le toucher qui permettront de vraiment rencontrer le met, les bruits de sa consommation et sa texture.

Plusieurs petites remarques sur les sens :

  • le couple goût/odeur travaille habituellement en synergie, et souvent on anticipe le goût d’un plat rien qu’avec son odeur…
  • pour compléter la tétralogie des goûts européens « salé, sucré, acide et amer », les asiatiques ajoutent l’umami, cinquième saveur qui renforce les quatre premières… les férus de culture chinoise apprécieront l’étendue de la grille de lecture taoïste ;
  • manger de beaux plats, présentés avec soin, dans une jolie vaisselle participe à l’éveil des sens et au plaisir de manger ! (ce qui correspond à des Qi invisibles et nourriciers , en médecine chinoise par exemple).

Dans notre monde industrialisé, l’industrie agroalimentaire a bien compris ce phénomène et utilise des artifices technologiques pour hijacker nos sens et faire croire à notre cerveau que ces produits ultra transformés sont à la fois « bons » à manger et « bons » pour notre santé. Les spécialistes de neuro marketing appellent cela le bliss effect.

Et c’est là le paradoxe : en tirant la qualité des produits vers le bas pour maximiser les marges de profit, on voit apparaître une séparation entre le plaisir et la santé.

Lorsque l’on veut bien manger, il est donc nécessaire de se réapproprier la cuisine ! Ou avoir des moyens financiers plus conséquents. Car si vous mettez les moyens, les aliments de meilleur qualité sont à la fois bons et sains… ce n’est pas pour rien que les classes économiques les moins aisées sont les plus touchées par le surpoids et l’obésité.

Comme Soma, luttez par la cuisine car ce n’est pas le capitalisme qui le fera pour vous. Son fond de commerce n’est pas de régler les problèmes mais d’en créer pour vous vendre des solutions temporaires ^^

Et donc ?

Si nous nous penchons sur le bento japonais, nous pouvons voir que la manière de le réaliser remplit les différents critères de stimulation sensoriels : plusieurs couleurs selon les aliments présentés, des textures variées en bouche (cuit, cru, croquant) et qui produiront des sons différents à la mastication, des goûts plus ou moins subtils et des odeurs correspondant à chaque petite portion de nourriture.

Et les repas « à la française » ne sont pas en reste. Là ou la présentation du bento est en un seul gros plat partitionné, nous avons plusieurs composantes :

  • L’entrée, habituellement des crudités avec une vinaigrette. Les couleurs peuvent être variées (l’orange des carottes, le jaune des endives, le vert de la mâche, etc.), la sauce d’accompagnement acide ou légèrement sucrée ;
  • Le plat protidique, souvent de la viande ou du poisson mais des alternatives végétales sont tout aussi intéressantes (soja, légumineuses). D’autres qualités organoleptiques sont mises en jeu par rapport à l’entrée ;
  • Le plat d’accompagnement qui permet de proposer des féculents, des légumes cuits ou les deux et permet là encore de varier textures, couleurs, odeurs et goûts ;
  • Un produit laitier, souvent un yaourt ou du fromage qui sont des éléments à moduler selon nos préférences mais qui, dans le pays du fromage, peuvent être très variés ;
  • Le dessert qui est majoritairement un fruit, là aussi un bon moyen de stimuler nos sens.

Ce premier article n’est pas un dossier scientifique, mais une tentative de vulgarisation du plaisir de manger. Et quoi de mieux que Food Wars pour déclarer la guerre à la malbouffe, comprendre notre fonctionnement biologique et se faire plaisir en conscience ?


1 commentaire sur “[Food Wars ! / Shokugeki no Soma] Plaisir de manger, Sensorialité et orgasme culinaire ?

  1. Excellent article.
    Diététicienne-nutritionniste, je passe par les 5 sens et la réappropriation du savoir-faire culinaire pour ancrer les changement des habitudes alimentaires.
    Transcender la préparation d’un repas en un soin de soi par la méditation est salutaire aussi !

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